Des frères Goncourt, Jules et Edmond, la postérité a retenu le
Journal, et l’Académie du même nom. Fondée après la mort d’Edmond selon son souhait, dans le but de faire connaître de jeunes auteurs, elle sera financée grâce à la vente de leur collection d’oeuvres du XVIIIe siècle et d’art japonais et chinois. En 1881, Edmond publie un ouvrage singulier,
La Maison d’un artiste, dans lequel il répertorie ses trésors, accumulés dans sa maison d’Auteuil, offrant à ses lecteurs descriptions détaillées et belles envolées narratives sous une plume précise et imagée. Fruit d’un important travail de recherche alors que la connaissance des arts asiatiques et plus spécialement japonais est encore très sommaire, l'ouvrage reçoit un accueil enthousiaste de la part des japonisants de l’époque.
Un ouvrage précurseur, dont voici la réédition, centrée sur la collection d’art japonais et chinois des deux frères, et accompagnée d’une enquête sur les traces de ces objets aujourd’hui dispersés, menée de main de maître par Geneviève Lacambre. Cette réédition bénéficie de photographies inédites, tirées de l’album personnel d’Edmond de Goncourt.
Conférence donnée par Geneviève Lacambre, lors d'une carte blanche au Festival d'Histoire de l'art de Fontainebleau en 2019 : à écouter sur la chaîne Youtube du Festival
Date de parution : 2018
ISBN : 9782915398199
85 illustrations 23
700 g
17 x 24 cm 320 pages
Thème(s) : Art japonais |
collection |
estampes |
Goncourt |
Japon |
Japonisme |
Maison
Connu notamment pour le duo littéraire qu'il formait avec son frère, Edmond s'affirme véritablement en tant qu'auteur à partir de 1870 alors que Jules décède des suites d'une syphilis. Edmond devient l'unique rédacteur du Journal qui demeure l'œuvre la plus lue des frères Goncourt, bien qu'ils aient aussi écrit des romans et des ouvrages d'histoire. Les deux frères sont également de grands collectionneurs d'objets d'art notamment asiatique. L'argent de la vente testamentaire de leur collection financera la création de l'Académie Goncourt.
Historienne de l’art, conservateur général honoraire du patrimoine et chargée de mission au musée d’Orsay, Geneviève Lacambre a étudié le japonisme depuis le début de sa carrière. Elle a été commissaire de plusieurs expositions sur le sujet, notamment « Le Japonisme » en 1988 et, plus récemment, « À l’aube du japonisme » en 2017.
DANS LA PRESSE
Edmond de Goncourt : Passion Japon publiée dans Le Journal du Japon
« On pénètre dans ce livre comme on pénètre dans un musée, sur la pointe des pieds et les yeux grand ouverts, pour admirer une collection merveilleuse et un homme passionné et passionnant ! »
Des frères Goncourt, on connaît surtout l’Académie qui porte leur nom. Il faut savoir qu’elle a été fondée après la mort d’Edmond grâce à la vente de la collection d’œuvres du 18e siècle et d’art japonais et chinois que les deux frères avaient accumulés dans leur maison d’Auteuil. Ils avaient commencé cette collection dès 1838 lorsqu’ils étaient adolescents, avaient acquis des estampes japonaises dès 1861, bien avant que la fièvre japonisante touche l’Occident dans les années 1870 à 1890. Jules est mort en 1870, mais Edmond a continué à s’occuper de la collection et s’est lancé dans l’écriture de La Maison d’un artiste pour répertorier ses trésors et offrir aux lecteurs de très belles descriptions des objets, de leur histoire et de leur fonction. Un très gros travail pour cet amateur d’art curieux et toujours en quête d’explications auprès d’artistes et de Japonais venus à Paris, qui s’apprécie aujourd’hui dans une version richement illustrée et accompagnée d’une enquête de Geneviève Lacambre, historienne de l’art, spécialiste du japonisme, qui mène le lecteur sur les traces de ces objets aujourd’hui dispersés. De nombreuses photographies inédites tirées de l’album personnel d’Edmond de Goncourt permettent de se rendre compte de la quantité et de la qualité des objets collectionnés.
Le lecteur pénètre donc dans la maison et la visite pièce après pièce.
Dans le vestibule, on peut admirer des broderies du Japon : « Des broderies du Japon, ai-je dit plus haut, c’est là, dans leurs cadres de bambous, la riche, la splendide, l’éclairante décoration des murs du vestibule et un peu de toute la maison. Ces carrés de soie brodés appelés fusha ou foujousa font la chatoyante couverture sous laquelle on a l’habitude, dans l’Empire du Lever du Soleil, d’envoyer tout présent quelconque, et le plus minime, fût-il même de deux œufs. Les anciens foujousas fabriqués à Kyoto sont des produits d’un art tout particulier au Japon, et auxquels l’Europe ne peut rien opposer : de la peinture, de vrais tableaux composés et exécutés en soie par un brodeur, où sur les fonds aux adorables nuances, et telles qu’en donne le satin ou le crêpe, un oiseau, un poisson, une fleur se détache dans le haut-relief d’une broderie. Et rien là-dedans du travail d’un art mécanique, du dessin bête de vieille fille de nos broderies à nous, mais des silhouettes d’êtres pleins de vie, avec leurs pattes d’oiseau d’un si grand style, avec leurs nageoires de poisson d’un si puissant contournement. »
Il y a des dessins dans le petit salon, une vasque en fonte du Japon dans le grand salon, des kakemonos dans l’escalier. Edmond possède de nombreux albums japonais qu’il admire plus que tout, comme le montrent les mots passionnés qu’il leur consacre : « Ces albums ouverts et parcourus de l’œil, de la première ou plus rationnellement de la dernière à la première page, il vous apparaît, baignée des méandres azurés des mers, des fleuves, des rivières, des lacs, une terre aux rivages semés d’écueils baroques, contre le granit rose desquels brise éternellement le Pacifique ; des plages fourmillantes de vendeurs et de vendeuses de coquillages et de choux de mer, qui courent après des pieuvres leur échappant ; des villages formés d’une seule rue, contournant une anse dormante de leurs toits, surmontés, aux deux extrémités, de poissons porte-bonheur sculptés ; des rizières inondées, où dans les lignes flottantes de l’eau, les brindilles lointaines semblent des croches sur un papier de musique réglé ; des campagnes couvertes d’une herbe vivace, de la hauteur d’un homme, toute verte d’un côté, toute blanche de l’autre ; des villes coupées de ponts bombés, s’élevant sur une forêt de madriers rouges ; des jardins de plaisir, sillonnés de ruisselets tournoyant à l’entour de plantations d’iris et de roseaux ; des intérieurs dont le lisse bois vernissé enferme comme la clarté humidement rayonnante de nos écoles de natation, – cette terre enfin composée de trois mille huit cent îles ou rochers : le Japon.
Et dans ce pays, toute une vie qui paraît remplie, amusée, rendue doucement rêveuse par le voisinage amoureux et la contemplation de l’eau. Ce ne sont sur ces pages que femmes regardant l’eau, ici accoudées sur la toiture d’une cabine, là soulevées sur la pointe des pieds en haut d’une estacade, la main au-dessus des yeux ; et partout sur les balcons, auprès des lanternes posées sur un pied, et tout en buvant de petites tasses de thé, ces femmes ont l’œil et l’attention à l’eau qui coule. On en voit de ces femmes qui, dans le matin qui s’éveille, au bord d’une rivière, attachent de petits morceaux de papier, couverts d’aimables pensées, à la patte de grues qu’elles mettent en liberté ; on en voit qui, dans la nuit, blêmes apparitions, une flûte aux lèvres, une robe noire comme le ciel aux épaules, glissent sur une barque silencieuse. »
« Tout le Japon est présent, vivant dans ces albums ». Et d’évoquer les matsuri, les combats de sumo, les théâtres.
Il possède des albums sur tout type de sujets : à l’usage des fabricants, sur l’habillement, les armures des guerriers, d’autres sur les objets en laque, et sur les éléments de dessin, et même des albums érotiques.
Dans son cabinet de l’Extrême-Orient, il décrit les nombreux netsuke, ces petites figurines en ivoire représentant des dieux japonais mais aussi des sujets comiques, érotiques, philosophiques, des animaux, des figurines légendaires.
Il y a également les nombreuses boîtes de laque, faïences (de Satsuma), sabres, écritoires et boîtes à médecine. Les photographies permettent de se rendre compte de la beauté de tous ces objets.Sa plume se fait parfois triste lorsqu’il évoque son frère décédé ou la vieillesse et la mort qui se rapprochent. Des passages intimistes touchent le lecteur qui s’était perdu parmi tant de belles choses.
On pénètre dans ce livre comme on pénètre dans un musée, sur la pointe des pieds et les yeux grand ouverts, pour admirer une collection merveilleuse et un homme passionné et passionnant !
Très belle recension dans Histoires Littéraires, la revue trimestrielle consacrée aux littératures des XIXe, XXe et XXIe siècles :
La maison d’un artiste d’Edmond de Goncourt, qui parut en deux volumes chez Charpentier en 1881, était un ouvrage difficile à classer. L’auteur y décrit l’intérieur de sa maison qu’il occupa depuis 1868, d’abord avec son frère, puis seul. Située à Auteuil, cette maison est l’écrin d’une collection commencée sans doute très tôt, alors que les frères Goncourt étaient encore adolescents. La passion de la collection les conduira des dessins et objets d’art du XVIIIe siècle, siècle aristocratique, qu’ils admirent et auxquels ils consacrèrent de si nombreuses études, aux arts asiatiques. Ce sont d’abord les porcelaines chinoises, si prisées déjà au XVIIe siècle, puis les estampes japonaises et tous les objets qui arrivent alors du Japon, comme suite à l’ouverture de ce pays au monde occidental en 1858, que les deux frères accumulent dans leur hôtel particulier. Lors de sa publication La Maison d’un artiste reçu un accueil très favorable de la part des japonisants de l’époque et l’ouvrage fut considéré comme le premier livre de référence publié en France sur les arts de l’Extrême Orient. La collection des frères Goncourt fut dispersée à la mort d’Edmond, qui, contrairement à ses deux éminents contemporains Emile Guimet et Henri Cernuschi ne la légua pas pour faire un musée. En mars 1897 une vente étalée sur six jours permit de recueillir des fonds nécessaires au financement de l’Académie Goncourt. Geneviève Lacambre, qui présente cette réédition de La Maison d’un artiste, s’est lancée dans un minutieux travail d’enquête, basé sur l’analyse du catalogue de la vente et sur celle de l’album photographique personnel d’Edmond de Goncourt, annoté de sa main et conservé à la Fondation Custodia. Son exceptionnelle connaissance des collections muséales lui a permis de retrouver de nombreux objets dans les collections de musées français et étrangers, elle a pu aussi identifier de nombreuses estampes ou recueils d’estampes ayant appartenu aux Goncourt.
C’est donc le texte original, allégé toutefois d’assez fastidieuses listes d’objets et de livres, que nous donne cette réédition d’un livre qui fit date, écrit dans une langue magnifique, dont on s’est parfois moqué et qu’une riche illustration permet d’encore mieux goûter. La longue et savante introduction de Geneviève Lacambre resitue parfaitement l’ouvrage d’Edouard de Goncourt dans l’histoire du japonisme dans la deuxième partie du XIXe siècle. À la lecture, de présentation un peu ingrate à vrai dire, de l’édition originale de 1881, on préférera celle de ce beau volume dont Edmond de Goncourt aurait sans aucun doute apprécié les belles illustrations, lui qui a enrichi l’exemplaire de son livre de dessins de sa main. On y retrouvera, en marge des descriptions qui étaient l’objet premier de l’ouvrage, des souvenirs plus intimes, passages émouvants qui montrent qu’Edmond de Goncourt reste ici un écrivain livrant une de ses œuvres les plus personnelles.